La dormition de sainte paprika / Uspenje svete paprike

En ce milieu d’août, on trouve au marché de Noailles de beaux poivrons rouges du pays au meilleur prix, à 1,40 € le kilo. Mercredi, j’en ai pris cinq pour les faire au four. Le vert est bon mais le rouge est sucré, mûr à point. L’odeur des poivrons qui grillent au four est une odeur bénie du sud. Rue Pastoret, ma voisine de palier en faisait souvent et je sentais l’odeur dès que je passais le cap de la rue. Parfois elle les ratait. Je l’entendais crier.

Elle les oubliait. Les poivrons cramaient. Mais le parfum suave n’en devenait que plus âcre, explosif et de suite me transportait, me mettait littéralement hors de moi l’instant d’une seconde. Les arabes disent felfel pour le poivron, et felfel har pour le piment qui n’est qu’un poivron torride. Abdel du Sétifien me traduisait poivrons confits en arabe. Je ne sais plus le mot. Mais je me souviens comment il avait à ma demande transcrit littéralement le verbe arabe. Cela donnait « poivrons dormis ». Ce qui dans ma langue secrète signifie non pas l’affaiblissement mais plutôt la fin glorieuse du poivron. La dormition du saint poivron. Ce qui traduit dans un idiome slave donne Uspenje svete paprike, La dormition de sainte paprika. La seule difficulté, elle est de taille, réside dans la cuisson du poivron, sa durée, son intensité. Le poivron doit griller pour développer tout son arôme, mais sans se dessécher. Et la pulpe peut être préférée plus ou moins juteuse selon. A défaut de four, une simple plaque électrique peut faire l’affaire. Il suffit de les poser directement, peau contre métal. Cet été, j’en ai dégusté des jaunes ainsi préparés, succulents. Braise, plancha, ou flamme, qu’importe votre feu s’il est ardent.

Après avoir mis mon four à chauffer bien chaud, vers 200°C, je découpe avec un couteau d’office le pourtour du pédoncule. Ensuite, je coupe chaque poivron en deux dans le sens de la hauteur. J’ôte les graines et la pulpe trop blanche. Je dépose les demi-poivrons sur la plaque du four côté interne. La peau est ainsi plus exposée. Je verse un léger filet d’huile d’olive au dessus de chacun et j’enfourne. Six minutes. Après 17 minutes, le voyant s’éteint. Le four a atteint son plein régime. Une demi-heure après, je regarde où en sont mes poivrons. Tout va. Les peaux ici et là commencent à brunir et des cloques se forment. Je ne les retourne pas, les laisse en position. Encore un quart d’heure. J’éteins le four 1h06 après le début de la préparation. Les boursouflures sont présentes sur presque toute la surface des demi-poivrons et de belles tâches noires sont apparues par endroits. La peau est à la fois décollée et grillée. C’est le but. Je les laisse au four le temps qu’ils refroidissent. Plus d’une heure après, je les sors et un par un les pèle à l’aide d’un petit couteau. Dix minutes. L’opération est facile car la cuisson a été bonne. Sur une large assiette, je dépose au fur et à mesure mes demi-poivrons pelés en couches, et verse un large filet d’huile d’olive. Je ne les assaisonne pas ou peu. Sinon de quelque rameaux de thym frais encore vert.

Le poivron rouge au four dégage un arôme tellement agréable qu’il peut se déguster quasiment tel quel. Dans les deux jours, il pourra aussi servir de base à une sauce ou une entrée. Le poivron rouge intense rayonne. La surprise, c’est la métamorphose de sa texture. Fragile, déliquescente. Il fond en bouche et il est presque gluant.

au hasard d’une rue

du sud je marcherai

et sentirai le glas

des doux poivrons sonner

dormition

 

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