Three hours Tres horas Drei Stunden Tre ore Trois heures

Nous y sommes, nous y baignons, dans la chaleur de l’été, et l’heure est venue de la faire. Les légumes ont atteint sur le marché le point de maturation suffisant et ce serait une erreur de la retarder encore. Quoi ? La grande ratatouille d’été. Elle était annoncée, fin mars déjà. La voilà. A plat exceptionnel, temps exceptionnel. Que ceux qui préfèrent aller vite passent, et nous, nous nous arrêterons. Car c’est une ratatouille de trois heures que je vous propose ici. Dans mon idée, la ratatouille est presque un confit de légumes d’été, une sorte de piperade amplifiée et magnifiée. L’huile d’olive est l’agent confiseur, et donc l’âme de la ratatouille. Je me contente d’une Cap d’or prise au Super U de la rue Saint-Pierre à 3,60 € le litre. Il faudra en reverser généreusement dès que le besoin s’en fait sentir. Par exemple à chaque fois qu’un nouveau légume est ajouté. Ma ratatouille est le mélange de deux préparations distinctes. D’un côté la base de ma ratatouille, une piperade, un confit de poivrons auquel j’ajoute la matière des aubergines et des courgettes. Et de l’autre côté un bouillon de tomates. Ce second bouillon apporte une acidité qui relève les saveurs plus lourdes, terrestres du premier bouillon parti de la piperade. Je ne mélange les deux bouillons qu’après les avoir assaisonnés et les avoir goûtés chacun et jugés finis. Mon premier bouillon contient deux têtes d’ail moins cinq gousses, quinze poivrons rouges longs, huit petites aubergines, quatre grosses courgettes, et un piment. Dans mon deuxième bouillon cinq gousses d’ail, quatre oignons jaunes, cinq énormes tomates cœur de bœuf, et un piment. La plupart des légumes sont du pays, je les ai pris au marché de Noailles entre 1,00 € et 1,60 € le kilo, à part l’ail violet à 3,60 € le kilo. Ils sont tous superbes. Les tomates sont très mûres, je n’aurai rarement vu autant de pulpe à l’intérieur d’une tomate. Les courgettes grosses mais pourtant bien remplies de chair. La pulpe des aubergines est bien blanche, à point. Et j’ai préféré ne prendre que des poivrons rouges au maximum de leur maturité.

Je commence par affûter un petit couteau d’office et un grand couteau de cuisine avec mon fusil. Je rince dans le courant d’eau du robinet les poivrons, les aubergines, les courgettes et les tomates. Dans une grande gamelle, je verse un joli fond d’huile. Je coupe mes quinze poivrons un par un, je les jette au fur et à mesure dans la gamelle. Je circoncis d’abord le pédoncule puis je coupe mon poivron en deux en partant du bord du pédoncule jusqu’à la pointe puis en revenant vers le côté opposé du bord. J’ôte les quelques graines et la pulpe blanche amère à l’aide de la pointe du couteau. J’aplatis chaque demi-poivron et débite ainsi de fines lanières en diagonale. 27 minutes. Tous les poivrons rissolent. Je détache ensuite les gousses de deux têtes d’ail sauf cinq que je réserve pour le bouillon de tomate. Je sectionne l’attache dure de chaque gousse avant de l’éplucher à l’aide du fil de la lame. Je coupe chaque gousse simplement en deux avant de les ajouter aux poivrons. 34 minutes. Je vais attendre que mes poivrons soient bien confits avant d’y ajouter aubergines et courgettes. Je m’occupe donc de mon deuxième bouillon. J’épluche quatre oignons, j’enlève l’enveloppe extérieure sèche, je les coupe en deux, puis j’ôte la partie la plus dure au pied de chaque moitié grâce à deux petites entailles. L’oignon nouveau suinte, il transpire quelques gouttes de sa sève blanche. Je le pose à plat et découpe de fines demi-rondelles perpendiculaires à sa hauteur. Je les jette dans une deuxième grande gamelle et les arrose d’huile d’olive. J’y ajoute aussi les cinq gousses d’ail réservées coupées en deux. Je procède avec les deux piments verts forts comme avec le poivron, en prenant garde d’éviter le contact avec le jus irritant. Je coupe chaque demi-piment très en biais, dans le sens de la longueur en très fines et longues lanières. Je dépose un piment dans le premier bouillon et un piment dans le second bouillon. Après une heure de préparation, les poivrons ont réduit, et ont déjà bien confit dans l’huile avec l’ail. Il est temps de rajouter les aubergines. J’enlève le pédoncule par quelques entailles autour et le long de cette collerette, puis je coupe l’aubergine en deux dans le sens de la longueur avant de débiter de fines demi-rondelles que je jette dans ma piperade. Je sens sous la lame la texture spongieuse de l’aubergine. Idem avec les courgettes qui sont beaucoup plus faciles à découper, leur matière est plus cassante. Je sectionne l’attache avant de les couper en deux puis en demi-rondelles. Je garde la peau des aubergines comme celle des courgettes. Elle est fine et tendre car les légumes sont de saison et extrêmement frais. Une heure douze. Tous les ingrédients sont dans le premier bouillon. Je le remue un peu à l’aide d’une cuillère en bois. Il est alors temps de rajouter les tomates au second bouillon. Les arcs d’oignons ont jauni et sont devenus moelleux. Après avoir enlevé le pédoncule vert, je coupe chaque cœur de bœuf en quatre et je retire la partie la plus dure grâce à deux entailles. Puis je découpe directement chaque quartier au dessus de la deuxième gamelle en petits morceaux. Je n’avais jamais rencontré une telle pulpe de tomate, aussi généreuse, aussi abondante, c’est un plaisir de la trancher. Une heure vingt-deux. Tout est découpé et sur le feu. Les brûleurs jusque là maintenus au plus doux sont légèrement augmentés. Je remue de temps à autre les deux appareils. Les morceaux de tomate ne tardent pas à rendre tout leur jus. L’appareil de ce bouillon devient rapidement très liquide. Le premier bouillon lui doit être surveillé de près. Les aubergines et les courgettes doivent chauffer progressivement, se mettre à suer et à rendre peu à peu de leur jus. L’huile d’olive permet d’éviter que le fond ne crame sans avoir besoin d’ajouter d’eau, mais il faut remuer l’appareil régulièrement et ne pas s’éloigner des feux. Une heure quarante-huit. Près de deux heures après le début de la préparation, le premier bouillon a rendu suffisamment de jus, les légumes y baignent et l’ensemble bout, tandis que le bouillon de tomates réduit peu à peu depuis plus longtemps. Quand deux heures et demi approchent, je sale et poivre chacune des deux préparations. Je remue, j’attends que le gros sel fonde et que le poivre moulu diffuse, puis je rectifie l’assaisonnement plusieurs fois de la même manière. Je prends une cuillère à soupe et recueille le jus de chaque bouillon à la surface. Le bouillon de tomate est d’un joli orangé, tous les oignons et les morceaux de tomates y ont fondu. Il révèle une délicieuse saveur de tomate sucrée avec une belle acidité. Dans le premier bouillon, chaque morceau est déjà cuit. Le jus goûté est d’un fort caractère mais tout en rondeur. Deux heures trente. Mes deux bouillons sont bons. Ils sont prêts. Je les mélange, les réunis. Je dispose alors de six litres de ratatouille. Et j’y ai versé un tiers de litre d’huile d’olive en tout. Je laisse l’ensemble encore bouillir à feu très doux pendant une demi-heure. Trois heures. J’arrête le feu. L’ensemble sur sa lancée va continuer à confire. Il ne sera consommé que plusieurs heures et plusieurs jours plus tard. Voilà ma ratatouille. Tard dans la nuit, elle a refroidi à la température ambiante. Je la place alors dans une cocotte étanche au réfrigérateur.

Le lendemain, puisqu’il fait chaud, je la sers froide avec un poisson grillé à la minute, dans des tasses rondes que je recouvre d’une bonne couche de persil plat finement haché. La petite cuillère plonge dans la surface verte, creuse, pour y ramener des couleurs et des saveurs variées. On distingue encore le goût fruité, intense de chaque légume, la tomate, l’ail, l’aubergine, la courgette, et pourtant l’ensemble forme un tout unique, un bouquet de saveurs puissant, structuré dans une variation de textures onctueuses qui n’émerge qu’à la faveur, qu’au milieu de la chaleur de l’été. Bonne cuisine !

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5 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. colette dollo dit :

    J’en ai mangé des ratatouilles, et quelquefois des très bonnes, mais une comme celle-ci jamais ! La différence avec les précédentes, c’était cette densité en bouche… un vrai régal quoi. Je vais devoir attendre avant d’en faire une semblable avec les légumes du Berry….

  2. J’ai refait une telle ratatouille à la fin du mois d’août mais je l’ai ratée. La raison ? Double. J’ai d’abord voulu lancé en même temps l’appareil principal à base de poivrons et le bouillon de tomates. Erreur. Le rythme proposé dans l’article est le bon. Il faut s’occuper en priorité de la piperade. Dès que les poivrons sont cuits et baignent dans leur jus, il ne faut pas plus attendre pour y mettre les aubergines puis les courgettes. Sinon, la piperade se concentre, sèche, et la cuisson des aubergines et des courgettes a d’autant plus de mal à démarrer et les légumes ont tendance a attacher à cause du manque d’eau. Ce qui m’est arrivé. Le fond a attaché, il a cramé, et la cuisson de l’appareil principal a pris un retard de plus d’une demi-heure. La deuxième raison, c’est qu’après avoir mélangé mes deux bouillons dans le but de laisser confire une demi-heure encore à feu doux, je me suis endormi. La ratatouille aura cuit plus de cinq heures. Non seulement le fond a encore légèrement cramé, et elle a donc pris un goût fumé. Mais les légumes trop cuits finissent par perdre chacun leur saveur. Ratatouille tassée cassée. Je confirme que ce temps de trois heures est un temps juste, suffisamment long, mais qu’il est dangereux de vouloir l’étendre indéfiniment, comme les montres de Dali.

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