Une petite virée dans les caves de Bandol et les senteurs des résineux le long du col de Sugiton m’ont donné envie de refaire cette sauce au vin rouge de René Bergès forte de toutes les herbes de la garrigue. La sauce Cézanne est d’abord un fond d’échalotes et d’anchois hautement parfumé, déglacé au vinaigre et au vin rouge, puis épaissi à la tapenade d’olives noires et monté au beurre. La plus belle, la plus puissante sauce au vin rouge provençale que je connaisse. Je l’ai servie sur de belles tranches de rumsteak, près de 180 grammes, avec des haricots verts poêlés à l’ail et des petites pommes de terre au thym dorées au four. Le rumsteak, très tendre, vient du boucher de la rue Fontange, où on le trouve à 27 € le kilo, les pommes de terre nouvelles de chez Malik rue des Trois frères, à 1,25 € le kilo, ainsi que les échalotes à 3 € le kilo, et les haricots viennent de Noailles, à 2,50 € le kilo. Les baies de cade, je les ai recueillies directement sur la colline, au bord du chemin. Le cade est le parent méditerranéen du genévrier. Les fruits de celui-ci sont bleu prune, tandis que ceux du cade sont brun rouge. Quand on croque la baie de cade, sous la pellicule, on découvre une pulpe légèrement sucrée où domine un violent parfum de résine. Pour le vin, j’ai débouché une bouteille de pays du var, déjà à six euros la bouteille, que j’avais croisée sur le marché de la Cadière d’Azur, auprès de jeunes producteurs de Bandol.
Je mets une large gamelle sur le feu avec un joli fond d’huile d’olive et j’y rajoute neuf échalotes et un oignon émincés en fines rondelles. La recette indique de l’ail, deux têtes, mais cette fois-ci, je supprime. Je sépare. Je mets à blanchir sept gousses d’ail épluchées dans une petite casserole d’eau pendant un quart-d’heure que j’ajouterai à la toute fin à ma sauce. Je tire quatre anchois du sel, les passe sous l’eau et retire délicatement huit filets que j’ajoute à mon fond. Je sors également mes tranches de bœuf du frais et rabote quelques bordures un peu grasses ou plus sèches qui serviront de parures. Je les jette itou dans ma préparation. Pendant que tout cela dore et caramélise à feu doux, il est temps d’ajouter les épices. Quatre feuilles de laurier, une branche de romarin, neuf baies de cade, trois clous de girofle. Je poivre abondamment. Je cherche le thym mais pas la moindre petite branche. Pour mes pommes de terre au four, je me risquerai à utiliser un reste de thym en poudre dans une boîte récupérée. Aucun parfum. Ma seule déception de la soirée. Ce qui confirme mon idée, des branches sinon rien ! Après une demi-heure d’odeurs de plus en plus envahissantes, je déglace avec 15 centilitres de vinaigre de vin rouge et 25 centilitres de vin rouge. Cette bouteille à six euros n’est franchement pas terrible mais j’imagine que sa légère acidité va donner un coup de pouce à la sauce. Je goûte et je trouve le fond très acide. Je rajoute 15 centilitres de vin, et puis une heure après le début, juste avant de passer la sauce au chinois, 10 centilitres encore. Soit en tout 15 cl de vinaigre pour 50 cl de vin. Pendant toute la cuisson, la vapeur et l’alcool s’évaporent, ce qui permet à la sauce de réduire peu à peu. Après avoir filtré et pilé le fond au chinois, j’obtiens 40 centilitres de sauce que je vais laisser réduire presque une demi-heure encore. La préparation aura duré une heure et demi. Je ne dispose pas de tapenade toute faite. J’écrase donc au pilon une quarantaine d’olives noires, presque toute la boîte prise au Carrefour city de la rue des trois Frères à 90 centimes, après les avoir égouttées et dénoyautées. J’ajoute à cette purée grossière les dernières câpres d’un petit bocal et les broie de même. Avec un fouet, je mêle cette purée à ma sauce réduite. Elle me sert de liant. Elle épaissit ce jus concentré de parfum, lui donne de la matière. Pour l’adoucir encore, j’y fais fondre un joli morceau de beurre, disons un quart de plaquette environ, tout en remuant l’appareil. Je goûte. Le beurre et la tapenade compensent l’acidité du vinaigre. Il n’est pas nécessaire de resaler. Par contre, quelques tours de moulins à poivre. Je remue, ma sauce est prête ? Non ! J’y plonge les gousses d’ail blanchies. Là, oui.
Pendant ce temps, j’ai équeuté ma livre de haricots verts et l’ai faite cuire dans l’eau salée. Je les égoutte et les fais revenir à la poêle avec un joli morceau de beurre dans lequel grillent trois gousses d’ail. Une heure auparavant, j’ai lavé, essuyé, et placé mes petites pommes de terre coupées en deux ou trois sans les éplucher sur la lèche-frite. J’y verse un peu d’huile de tournesol et d’olive pour parfumer. Sur un côté, je dispose un petit récipient avec le thym en poudre dans l’espoir vain qu’il embaume mes patates. Après une heure d’un four à plus de 150 degrés, retournées deux fois, mes pommes de terre sont bien tendres et légèrement dorées. Au dernier moment, je grille mes tranches de rumsteak sur une poêle bien chaude avec un peu de beurre. Une ou deux minutes. Pas plus. Je retourne. Sale, poivre. Et dresse enfin ! La viande, les haricots verts d’un côté, les pommes de terre de l’autre, et pour terminer la sauce, sur la pièce et le long de la tranche. J’ajoute en guise de souvenir une petite branche épineuse de cade et trois baies rouge cuivre à chacun. Les haricots copinent avec l’ail. Le thym a fait faux bond aux pommes de terre. Mais il y a à manger. Le bœuf est tendre. Et la sauce apporte toute l’ardeur de la colline sauvage, dans une bouche cependant ronde, presque charnue. Bonne cuisine !