Voilà comment j’ai préparé ma première brandade de morue, selon une recette de la mère du père de ma mère qui vivait dans le Berry. Il est probable que la recette provienne de l’aire charentaise proche. Mais l’invention du nom lui-même nous emmène en Provence, la brandade est une remuade, une remuée de miettes de morue, et ce nom dit la nécessité de les sortir du four plusieurs fois pour les retourner, les remuer dans la graisse pour éviter qu’elles ne sèchent. Quant à la morue elle-même, elle s’origine avec les premières grandes pêches modernes au large. Dès le XVIème siècle, les basques partaient vers Terre-Neuve avec les morutiers et ramenaient ces cabillauds abondants en eau froide grâce au sel qui les conservait et qui prenaient alors le nom de morue. La route de la morue est ainsi une route du sel. La brandade provençale est née près d’Aigues-Mortes où des tonnes de sel étaient échangées contre des tonnes de morue, et la façon charentaise près des îles de Ré et d’Oléron qui produisaient également le sel nécessaire aux pêcheurs. Très salée, la morue s’achète au plus tard la veille pour pouvoir justement la dessaler. La mienne, je l’ai prise à l’Écaille d’argent à Noailles, un filet entier de presque un kilo et demi, assez fraîchement salée, à 15 € le kilo.
Comment dessaler la morue ? Il suffit de la laisser dans un bain d’eau froide pendant un jour et une nuit, parfois plus quand elle est très sèche. J’ai changé deux fois l’eau qui finit par se saturer en sel pour obtenir un poisson juste salé. Le dessalage a tellement bien réussi que j’ai été obligé de resaler légèrement mon plat à la fin. Le jour-même, je lave presque cinq kilos de pommes de terre achetés à Salim rue des Trois frères, des bintje pour 3,80 €, puis je les cuits à l’eau dans un grand faitout. Il faut attendre 42 minutes pour que cela bout. A partir de là, la cuisson va durer trente minutes. Quelques pommes de terre un peu fragiles éclatent mais la plupart sont fermes et bien cuites. Je les égoutte et quand elles sont refroidies, je les pèle. J’écarte à ce moment les pommes de terre trop friables, qui résisteraient mal à la remuade, à la brandade bien nommée à venir. Ma morue, je la fais au court-bouillon. Avec un fond de bouillon de poisson que j’avais la chance d’avoir sous la main, je fais une remouille. Je remets donc dans un grand faitout rempli à moitié d’eau les légumes et poissons que j’avais déjà passés au chinois et pressés. Je rajoute encore du thym, du romarin, quatre feuilles de laurier, deux clous de girofle, du poivre long, du noir et du blanc. 25 minutes après, ça bout. Je laisse encore bouillir un quart-d’heure, et là, je plonge mon filet de morue, j’arrête le feu dix minutes après, le tout n’aura pas eu le temps d’aller jusqu’à l’ébullition, et le poisson finit de cuire ainsi et de s’imprégner des saveurs du bouillon. Au dernier moment, je sors le filet délicatement de l’eau. Il a bien cuit et la chair visqueuse a tendance à se déliter. Je plonge donc les doigts dans mon bouillon pour en sortir avec précaution la totalité du poisson pour ensuite récupérer toute la chair dont j’enlève la peau et les arêtes.
Je mets mon four à chauffer sur 180°C et dans un grand plat rond aux larges bords, j’épluche et coupe les gousses d’une tête d’ail en fines rondelles, j’ajoute presque toute une plaquette de beurre de 250 grammes et j’arrose d’huile d’olive. Je mets au four et j’attends que l’enivrante odeur de l’ail me dise qu’il est temps de rajouter la pomme de terre et la morue. Je coupe mes pommes de terre, pour la plupart assez petites, en deux, les plus grosses en trois ou quatre, et je dépose mes lambeaux de morue dessus, je poivre et j’enfourne. Un quart d’heure après, je sors à nouveau le plat pour bien le remuer, le tourner, ajouter de l’huile d’olive et le poivrer encore. Encore un quart d’heure et j’ajoute cette fois-ci un bouquet de persil que je hache finement et pareil un bouquet de coriandre que je parsème au-dessus, je remue à nouveau le tout pour que mon beurre s’imprègne bien des parfums de la morue, et que mes pommes de terre soient bien recouvertes de cette graisse magique. Je laisse encore un dernier quart-d’heure. Le but est de renouveler l’opération autant de fois nécessaire jusqu’à ce que les pommes de terre grillent légèrement. J’ai abrégé l’opération et n’ai laissé mon plat au four qu’une petite heure.
Par rapport à la quantité traité, un kilo et demi initial de morue et cinq de patates, j’aurai dû mettre le four plus fort et laisser sans doute le tout pas loin d’une heure et demi. Mais mes invités et moi-même avons faim, et le résultat est déjà formidable. La douceur de la chair de la pomme de terre se charge du goût puissant de la morue relevé par l’ail. Persil et coriandre viennent apporter une fraîcheur, un mordant. Un plat magnifique pour les palais bien formés. Nous étions une dizaine et il n’en est pas resté une miette. Bonne cuisine !
Le mode opératoire est bien respecté et j’aurai aimé goûter car je n’ai jamais utilisé de coriandre dans ce plat. Est-ce que 5 kg de PDT n’était pas un peu excessif ? Avec moins, cela évite d’avoir à les retourner plusieurs fois lorsqu’elles sont au four.
Merci pour cette validation. En fait, une fois enlevées quelques unes un peu abimées à la cuisson, et quelques unes encore que nous avions mangé la veille, il ne restait peut-être que quatre bons kilos. Effectivement, on peut mettre plus de morue, mais elle parfume puissamment les pommes de terre et cela fait un plat économique. La coriandre vient ajouter une autre couleur, ce n’est qu’un persil du sud, et les deux herbes conviennent bien.