
Cet été 2023, lors de notre longue traversée de l’Espagne en voiture, nous avons campé. Dans le pays volcanique catalan de la Garrotxa à Olot, dans l’est aragonais désertique à Aliaga, et à Moncofa sur la Méditerranée au nord de Valence. Nous étions autonomes pour faire notre cuisine. À partir d’une épicerie de base agrémentée de produits frais. Un simple brûleur universel enclenché sur une petite bouteille de gaz, deux casseroles, une grande et une plus petite. Cet équipement nous a permis de préparer le thé et le café, de cuire des légumes, de réaliser des pâtes, du riz, des pommes de terre, des lentilles, le tout accompagné de savoureuses sauces minute.
Nous avons aussi profité avec bonheur de quelques restaurants. Le premier dans la cité de Teruel que nous avions tant attendue. Son nom sonnait comme le milieu de notre voyage, la terre promise. La ville tenait ses promesses. Une architecture haute, carrée, de briques rouges et de pierres blanches. Des ponts pour y accéder comme sur une presqu’île. Et le marché aux abords de la vieille ville où nous avons trouvé jambon, chorizo, pastèque, fromage de brebis, graines, aubergines, et poivrons à très bon prix. Il faisait plus de quarante degrés. Il était quatorze heures. La bibliothèque municipale, dans laquelle je trouvais un exemplaire de Clamor, la traduction espagnole du Glas de Derrida, fermait et nous poussait vers la sortie. Nous revenions vers la longue esplanade où j’avais repéré El Mirador. Un menu et un prix qui me plaisaient. La terrasse était bondée et plusieurs attendaient debout pour être placés. Des voix m’intimaient de renoncer. Mauvaise cuisine pour gens de passage ? Je tenais bon. La suite me donna raison. Une belle cuisine à rapport qualité-prix excellent et un accueil sympathique malgré le flux tendu et la chaleur.
Menu à 14,50€ verre de vin compris. Alcachofas salsa de anchoas, pimientos rellenos con pescado, cafe. Artichauts sauce anchoïade, poivrons farcis à la brandade, café. Quel plaisir de manger des artichauts ! Coupés sommairement, mais abondants et délicieusement poêlés et relevés avec une sauce à l’anchois. Peut-être mon plus beau souvenir de cuisine espagnole. Un plat simple que l’on ne trouverait pas en France dans un pareil restaurant populaire. Après cette copieuse entrée, de petits poivrons farcis au four, sur une sauce bien rouge au paprika. On sentait une cuisine fraîche, bonne. La chair était fondante, la farce légère, la sauce simple et gourmande.
Plusieurs jours plus tard, par hasard, parce qu’il ne restait plus d’essence, nous nous sommes aventurés hors de l’autoroute, dans l’arrière-pays de Valence, pour arriver à Enguera. C’était dimanche, il faisait chaud, nous n’avions pas encore mangé. Les joueuses espagnoles se battaient contre les anglaises pour obtenir un titre mondial. Dans le restaurant Los Arcos, quelques hommes regardaient le match. Deux faisaient de la résistance, tournant le dos à l’écran. Sans doute était-ce juste parce qu’il s’agissait de football féminin. Il était 13h30 et toute l’équipe préparait le service du déjeuner dominical à partir de 14h30. Nous bûmes un grand tinto de verano pour patienter. Une sangria minute à base de vin rouge et de limonade. À l’heure dite, une foule arrivait et remplissait presque en une seule vague l’ensemble de la salle. Un public très familial, comme si le restaurant servait régulièrement de cantine à nombre de familles.
J’ai dégusté un gaspacho, suivi de calamars et aubergines frites, accompagnés de quelques pommes de terre. En dessert une crème au citron. Nous avons trouvé du réconfort dans ce lieu sympathique et familial. La salle carrelée, les larges ventilateurs apportaient de la fraîcheur à l’air torride du dehors. La cuisine était bonne, mais moins travaillée qu’au Mirador à Teruel.
Peu avant de repasser la frontière au retour, nous avons mangé à midi au Cul de la lionne dans la précieuse Gérone. L’étage était chargée des fumées de cuisine mais l’accueil très convivial. Un menu avec entrée, plat et dessert. Je me souviens seulement de la bonne moussaka. Plus tard, j’ai dégusté une délicieuse boule de glace à la violette. Plaisir un peu cher mais si rare.
Arrivés en France, nous nous sommes arrêtés à Cahors. C’était samedi, jour de marché. Magnifiques produits et affluence autour de la cathédrale. Aux abords de la place, le Rest’o Bistro. Sa carte réduite avait captée mon regard. Nous y avons déjeuné. De la volaille en bouillon de gingembre et herbes fraîches était annoncée. Mais dans le jus, je ne retrouvais ni le goût du gingembre ni le goût des herbes. C’était frustrant. Un peu comme le vin servi par la patron. Il affirmait péremptoirement qu’il ne buvait plus aucun AOC depuis dix ans. Il leur préférait les nouveaux essais bio échappant à toute autre norme. Mais l’anarchisme sympathique se liait à ce manque de rigueur dans la cuisine. Et le dénigrement à peu de frais des valeurs classiques était solidaire d’une marge conséquente. J’étais revenu en France.
Quand on va au restaurant en Espagne, c’est d’abord pour y être nourri, et y être accueilli. En Espagne, il n’y a pas cette haute tradition gastronomique qui vous regarde sévèrement. Cette tradition française est une ressource, mais elle exige. Elle commande, elle met la pression. Elle demande à chacun de se positionner, d’en répondre ou non. Cela entraîne des effets indésirables lorsque les choses s’avèrent mal assumées. Une posture parfois incohérente avec la prestation offerte crée alors le malaise. La cuisine espagnole populaire est a priori plus abordable, moins encombrée. Au mieux, elle est savoureuse et proche des produits.
Les quatre restaurants
[Prix pour quatre, deux adultes, deux enfants, toutes boissons comprises.]
- El Mirador à Teruel – déjeuner – 49,50€ – jeudi 17 août 2023
- artichauts poêlés / poivrons farcis à la morue et sauce / café + blanc sec et bière
- vermicelles à la seiche / côtelettes et frites / glace chocolat vanille
- Los Arcos à Enguera – déjeuner – 47 € – dimanche 20 août 2023 (jour de la victoire des espagnoles)
- gaspacho / calamars frits, aubergines et pommes de terre sautées / pastèque et crème au citron + tinto de verano
- El cul de la lleona à Gérone – déjeuner – mercredi 23 août 2023
- entrée / mousaka / dessert + verre de vin blanc
- oeufs brouillés crevettes petit pois / steak frites / sorbet citron
- Rest’o Bistro à Cahors – 60 € – déjeuner – samedi 26 août 2023 (jour de marché)
- entrée / poulet et bouillon gingembre et herbes / abricot au four + verre de vin rouge
- chiffonade de jambon dans une galette avec sauce blanche façon kebab