Ruban rouge

Banh chung. Un carré, un pavé empaqueté de feuilles vertes et enrubanné de rouge. Un grand plat simple, complet. Exceptionnel, réalisé une fois l’an, en grand nombre, pour fêter le nouveau départ. Cela s’appelle le Têt. Au Vietnam.

Plusieurs larges feuilles de la dong coupées à angle droit servent d’étuve de cuisson. Pour que la forme soit bien carrée, on se sert d’un moule en bois dans lequel on commence par disposer plusieurs feuilles de telle sorte que les nervures forment les angles du parallélépipède et en constituent ainsi l’armature. Cet impeccable emballage végétal ficelé quatre fois de chanvre rude supportera huit heures de cuisson à l’eau mais donnera sa forme au présent une fois les brunes attaches coupées et remplacées par le plus beau des rubans, le mien était rouge. Car le banh chung s’offre.images

Quoi dedans ? Une couche de riz gluant, une couche d’haricots mungo, au coeur de la poitrine de porc simplement parfumée de poivre noir, à nouveau une couche de mungo et une couche de riz gluant. Les doses de riz, de mungo, et de poitrine sont minutieusement préparées pour que la viande reste bien enfermée avec les petits haricots et que le riz forme une enveloppe presque étanche. Cuisson à l’étouffé à l’intérieur du riz lui même protégé de l’eau frémissante par le pliage minutieux des feuilles de la dong. Car le mungo et la viande ne deviennent fondants qu’après une journée entière de cuisson dans l’eau bouillante. Parfois plus de cent paquets empilés les uns sur les autres.

Après avoir coupé le ruban rouge, je fais réchauffer le banh chung à la vapeur. J’ôte délicatement les feuilles. La surface du riz s’est coloré de vert. Je coupe un quart. Puis un autre quart. Je le trempe dans un nuoc mam d’une clarté et d’une force jamais rencontrées auparavant. Très haut l’anchois la citronnelle, puis le vinaigre de riz. Jeu de texture avec la pâte à la fois compacte et un peu gluante teintée de vert, l’onctuosité fondante du mungo, la saveur de la poitrine, et la force du poivre. A la fin une sensation de rassasiement extrême sans que cela ne pèse.

A vrai dire, il y aurait à manger pour quatre dans ce simple pavé. J’aime le banh chung parce qu’il ne se laisse pas finir comme ça. Le lendemain, je le retrouve, le surlendemain aussi. Ma cuisine est fraîche et j’ai préféré ne pas l’enfermer dans l’armoire frigorifique. Je l’ai laissé vivre dans le même air que moi. Il sèche un peu, sa couleur change. Je fais dorer une tranche à la poêle avec un peu d’huile. Je bois le nuoc man comme une liqueur. J’en découpe des fragments, un bout, que je mastique froid. Je le goûte encore.

Je n’en ferai sans doute jamais. Je n’en mangerai peut-être plus. Mais je sais qu’il existe sur Terre des cuisines à la fois simples et parfaites. Travailleuses, et à l’écoute, en circulation avec le monde et le ciel qui les entourent. Le banh chung est vietnamien. Inimaginable ici. Et je n’ai jamais respiré les terres du Mékong. Je m’en sens si proche. En fait si lointain.

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5 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. malyloup dit :

    quel voyage! wahhhh! merci manu, pour sûr, on en mangerait volontiers après une telle description!

    1. malyloup dit :

      oups, manou (et pas manu, parti trop viiite!)

  2. François Nicolas dit :

    Une écriture plus mélancolique cette fois? Je me suis demandé si tu ne pourrais pas pousser encore plus loin ces espèces d’investigations entre sensation et expérience gustative, qui t’amènent à jouer d’autant mieux avec les mots pour raconter cette liaison (amoureuse) que tu entretiens à la nourriture. En tout cas, je trouve ça passionnant, et très émouvant aussi car, tout en demeurant dans ce domaine un presqu’analphabète, j’ai cependant un palais et une mémoire sensorielle qui me permettent d’effectuer une forme de catharsis qui me donne accès à la compréhension de ce que tu contes, même si cela n’est surtout possible que grâce à l’imagination, puisque je n’ai pas vécu ce que tu as vécu. Mais c’est le propre de la littérature -ou de tout art en général n’est-ce pas, que de nous permettre de vivre une expérience par procuration, grâce au « témoignage » de l’artiste….

    Envoyé de mon iPhone

    >

    1. Merci François. Oui, forcément mélancolique. Il s’agit d’un plat de l’exil. Il a été préparé à Marseille, avec amour. Reste que ce qui l’a suscité, permis, ce qui lui a donné naissance est un pays très lointain. On peut toujours faire des crêpes à Kinshasa le jour de la chandeleur. Mais jusqu’où cela a-t-il du sens ? Et si celui qui ose le faire ressent surement une certaine joie, il endure tout aussi nécessairement la séparation.

  3. Anonyme dit :

    Je me suis régalée de la lecture. Pour le palais, sans doute une question de culture : je n’arrive pas à ressentir toutes ces saveurs..

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