Les jaunes tilleuls de juin

Cette année, cela a commencé il y a quelques jours, le vendredi trois juin 2016. En marchant dans la chaleur tiède j’ai ressenti les prémisses. Dans l’air un soupçon, qui dès le lendemain s’est transformé en longues effluves. De Noailles à Notre-Dame-du-Mont, tout le Cours-Julien est planté de tilleuls. Non loin la Plaine aussi. Ailleurs ils longent tout le boulevard du Prado par exemple. Lorsque, hors de toute verdure, dans l’air immobile d’une nuit déjà chaude, cette odeur sucrée et jaune ne décolle plus de vos narines, le climax est atteint. C’est le point de floraison et d’intensité aromatique maximales. Puis cela s’éclaircit, se dissipe peu à peu. Cela ne dure pas plus de deux semaines, un nombre fini de jours, entre dix et vingt. Et je m’aperçois par hasard que j’écris un sept juin, jour du tilleul dans le calendrier républicain.

Chacun est renvoyé à ses souvenirs. Maryse se rappelle le tilleul du jardin de la colonie de vacances dans la Drôme. De nombreuses années de suite, elle arrivait au même moment, après la fin de l’école. Avec l’altitude la floraison de juin était retardée, et elle coïncidait avec l’arrivée des jeunes filles. Début juillet, les tilleuls embaumaient les premiers jours de vacances. L’établissement de soixante pensionnaires était tenu par des religieuses. Elles étaient trois et n’étaient pas tendres entre elles. Elles se tiraient dans les pattes. Sœur Agnès, minois charmant mais pointu, un peu sec, répétait à l’envi après chaque nouvelle bêtise, « Vous êtes bêtes à manger du foin. » Quoi ? Rien de bien méchant. Quelques gerbes de lavandes fauchées dans un champ voisin. Pour en cachette les tresser en colifichets, ou en couronnes. Mais nous voilà déjà avec une autre senteur, plus prégnante encore, et embarqués vers le cœur de l’été.

Et vous, que vous rappelle l’air entilleulé de juin ? L’année dernière je marchais dans Strasbourg et composais un dessert de figues caramélisées à l’estragon avec une crème de tilleul. J’avais recueilli quelques grappes sur la place de la Madeleine non loin du fossé des orphelins. Mais je m’étais contenté de piquer les fleurs dans la mousse. Cette fois, je me le promets, je suivrai le conseil d’un copain pâtissier. Porter 50 centilitres de crème à ébullition et couper le feu. Y faire infuser une poignée de fleurs de tilleuls, cinq ou dix minutes. Je compte une centaine de fleurs pour un demi-litre de fleurs non tassées. Filtrer, laisser refroidir, puis mettre au frais. Enfin, battre la crème au fouet et y ajouter un peu de sucre pour réaliser une délicieuse chantilly au tilleul. A vous d’y associer une matière plus sèche, biscuitée ? ou frugale, pulpeuse ? pour l’accompagner.

Pour tous, le jaune incomparable du tilleul annonce l’été. Une porte magistrale dans l’air. Les jeux, les nuits, la fête, la mer, les chaleurs, le temps suspendu, le temps perdu. Alors ? Sortez, marchez, respirez. Et avec un peu de chance…

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