Appelé la veille de l’été en Alsace, me voilà à Strasbourg. Là-bas comme à Marseille, toute la ville est plantée de tilleuls qui fleurissent en juin. Un bonheur de se balader dans l’air parfumé. Je note au passage leur senteur plus pointue, plus fraîche, plus verte, qui tranche avec la plénitude et la suavité des effluves du sud. Au fil de la marche j’invente pour mes hôtes un dessert à partir de quelques figues bien mûres d’Espagne trouvées dans une supérette Grand-rue, dans les cinq euros le kilo. Un peu plus loin pour deux euros une meringue aux amandes dans une boulangerie. Plus tard me vient l’idée de poêler mes figues dans un caramel. D’y associer un arôme intense d’été. Je songe à la verveine. En contrepoint une crème fouettée avec ce que l’Alsace fait de mieux, la crème fleurette. Sur le parvis de l’église Sainte-Madeleine derrière les orphelins je cueille avec précaution quelques fleurs d’un tilleul venu à ma rencontre. Au retour, à l’étal d’un Casino, la crème Petite France, à deux euros la bouteille de 50 centilitres, un euro moins cher que la marque Alsace lait. Pour finir je rentre chez un épicier turc au bout de la Grand-rue, riche de toutes sortes d’herbes. Mais là pas de verveine. Je me décide, je me risque à la remplacer par de l’estragon ! Je me lance donc dans un essai de figues poêlées au caramel d’estragon, accompagnées par une chantilly au tilleul.
Arrivé, je commence par la crème. Je verse presque toute la bouteille dans un grand saladier et je la monte à l’aide d’un fouet. Heureusement les bords sont hauts et les éclaboussures réduites. Dès que la mousse prend, se raffermit, je rajoute un peu de sucre pour l’adoucir. Test pour être sûr que la crème est bien montée ? La renverser au-dessus de sa tête. Rien ne tombe ? Tout va. Je la mets au frais. Je la servirai telle quelle, juste piquée de deux fleurs de tilleul. Une autre fois, pour vraiment parfumer la crème, un camarade me soufflera la bonne idée. Laisser infuser une poignée de fleurs fraîches dans la crème encore liquide, juste tiédie. Puis la filtrer, la refroidir et la monter. Alors, la matière même de la mousse serait toute entilleulée.
Puis je fais mon caramel à l’estragon. J’effeuille la plus grosse partie de mon bouquet. Je fais bouillir un demi verre d’eau avec les feuilles ciselées et laisse réduire deux trois minutes. Je le filtre. Dans une poêle sur le feu, je verse un verre de sucre et le mouille avec ma décoction d’estragon. Je laisse le sucre faire des bulles et brunir, se transformer peu à peu en un joli caramel, sans presque le remuer. Dès que j’ai la bonne consistance, la bonne couleur, j’éteins le feu.
Voilà, la mise en place est faite. Lorsque l’heure du dessert approche, je relance à feu fort mon caramel et j’y dépose ma dizaine de figues coupées en deux, côté pulpe. Après quelques minutes, elles sont bien dorées, je les retourne. Il faut veiller à ce que la figue cuise à cœur et se gorge de caramel, sans se décomposer pour autant. Je dresse chaque assiette. Quelques longues feuilles d’estragon disposées en soleil sur lesquelles je place deux demi-figues encore chaudes. A côté la crème fouettée piquée de deux fleurs de tilleuls. Puis un fragment de meringue.
L’astringence de l’estragon le léger brûlé du caramel renforcent le goût âcre de la sève de figue. Ou plutôt signent, laissent de légères traces devinées au milieu de la douceur de la pulpe. Sa tendresse contraste avec la blancheur fondante et fleurie de la crème et celle croquante de la meringue. Un essai à renouveler. A l’heur d’un jour de juin.
On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.