Hier soir, j’ai versé un peu de sang de cochon. J’ai acheté du boudin noir pour le faire avec des pommes au beurre de sauge. Le sang de l’animal a des vertus reconstituantes. Il est riche en fer. Et j’avoue aimer le boudin pour son goût presque capiteux. J’ai pris deux morceaux chez le boucher de la rue Fontange pour cinq euros à peine, le kilo est à 14 €. Il est excellent même si on sent une épaisseur dans la chair qui trahit la présence d’amidon, de farine. Le meilleur boudin que je connaisse n’en contient pas. Il renferme uniquement du sang, de la chair et du gras, des oignons, du sel et du persil. C’est celui que prépare ma famille berrichonne souvent au cœur de l’hiver, à la fin du mois de janvier ou au début du mois de février. Le cochon est tué la veille dans une ferme tenue par des cousins en Brenne. Le lendemain, il est entièrement découpé dans la cave de la grand-mère. Il est préparé de diverses façons, jambon au sel, andouillettes, pâtés, boudin, pâté de tête, rillons. Puis tout est partagé entre les sœurs. La mort du cochon nous hante. Et l’exigence de ne pas tuer pour manger a du sens. L’idée de ne pas ôter la vie de mammifères très proches de nous simplement pour nous alimenter nous travaille plus que jamais. A chaque fois qu’il est question d’acheter la viande d’un animal. Et pourtant nous sommes encore tenus à certaines habitudes pour ne pas dire rites immémoriaux. Pris dans des logiques de sacrifices. Verser le sang pour appeler les morts. Verser le sang pour appeler la vie. Sang contre sang. Sang pour sang. De là ma préférence franche pour cuisiner les légumes. Mais ce soir, c’est boudin aux pommes.
Pour faire contraste avec la douceur extrême du boudin, rien de tel que la chair légère, onctueuse, fruitée et acidulée d’une pomme. Chez Salim rue des Trois frères, j’ai choisi quatre pommes acides, des reinettes grises du canada, d’abord trouvées à 1,80 € le kilo, puis des moins chères, à 1,20 €, plus petites mais tout aussi bonnes. Je trouve le bouquet de sauge à Noailles pour 80 centimes.
Je prends deux poêles, l’une pour le boudin, l’autre pour les pommes. Le boudin est très gras et n’a pas besoin de cuire longtemps. Je mets un peu de beurre dans une poêle, à peine, et le laisse griller à feu doux. Dans une autre poêle, un peu de beurre itou. Je coupe chacune des quatre pommes en deux, l’épluche à l’aide d’un petit couteau et ôte le cœur dur en coupant une petite demi-sphère. Je les mets au fur et à mesure dans la poêle avant que le beurre ne grille. Huit minutes. Je retourne les deux morceaux de boudin. Je parsème les pommes d’une douzaine de feuille de sauge encore fraîche. Cinq minutes après, je retourne mes demi-pommes. Quinze minutes. Je rajoute quelques noisettes de beurre et un chouia d’huile d’olive car cela attache un peu. Ainsi qu’une petite cuillerée de miel de garrigue pour adoucir et parfumer. 18 minutes. J’augmente le feu pour caraméliser. Je mouline d’un poil de poivres noir et de blanc. Entre-temps j’ai retourné encore les boudins deux fois. J’arrête le feu. Je place un morceau de boudin dans chaque assiette ainsi que quatre demi-pommes.
C’est exquis. Deux textures onctueuses et complémentaires. Le goût suave du sang et le fruit de la pomme parfaitement relevé par la sauge aérienne mais entêtante. Bonne cuisine !