Il est des choses à la fois extrêmement utiles, peu chères, mais trop fragiles. Ainsi de ce verre doseur avec lequel je mesure les jus de mes bouillons et compare les presses obtenues avec ou sans pilon. Il me sert plus rarement à doser des quantités de sucre ou de farine, car je suis bien peu pâtissier. Passant en bas de la rue d’Aubagne, je suis entré chez le marchand de gamelles de l’enseigne « Tous vos loisirs », et suis tombé nez à nez avec l’exacte reproduction de mon récipient. Vous savez quoi ? Je l’ai acheté pour trois euros. Je dispose maintenant de deux verres doseurs transparents arcoroc identiques, d’une contenance d’un demi-litre, dont les inscriptions traduites en anglais et allemand et les mesures sont tracées de rouge et permettent de mesurer, en « approximate capacities » nuancent les verres, six matières différentes, sucre, semoule, farine, cacao, fécule, riz, et les liquides en litres, oz, ou quart de pint. J’ai fait que suivre la leçon n°134 du Manuel de Baltasar Gracian. Et je ne résiste pas à l’envie de vous faire partager son style admirable, dans la traduction inspirée d’Amelot de la Houssaie.
Avoir le double des choses nécessaires à la vie. C’est vivre doublement. Il ne faut pas se restreindre à une seule chose, bien même qu’elle soit excellente. Tout doit être au double, et surtout ce qui est utile et délectable. La lune, toute changeante qu’elle est, l’est encore moins que la volonté humaine, tant cette volonté est fragile. C’est pourquoi il faut mettre une barrière à son inconstance. Tenez donc pour règle principale de l’art de vivre, d’avoir au double tout ce qui sert à la commodité. Comme la nature nous a donné le double des membres les plus nécessaires et les plus exposés au danger, l’art doit pareillement doubler les choses dont dépend le bonheur de la vie.